Société
30.08.2019
CAL, un collectif d’architecture libanais pour sensibiliser sur l’importance de l’aménagement du territoire.

A l’ère du capitalisme mondialisé et débridé, l’architecture et l’aménagement urbain sont devenus indispensables à la cohésion des sociétés. Un rôle pourtant pas toujours reconnu par les institutions au Liban qui ne mettent pas en place de stratégie de développement urbain. Alors que faire pour relever ce défi? C’est la question qui sera soulevée lors de Omran, Architecture of the territory, une exposition qui se déroulera à Beit Beirut du 21 août au 11 septembre prochain, suivie d’une conférence les 30 et 31 août.
Au Liban, après la guerre civile, aucune stratégie n’a été mise en place pour un développement urbain et une reconstruction qui permettent de rassembler une société éclatée. Depuis bientôt 30 ans, les priorités du gouvernement sont plutôt à des projets d’immobilier lucratifs qu’à la constitution d’un espace public par exemple. C’est afin de contrer cette réalité que le CAL, collective of architecture for Lebanon a été fondé en 2019. Créée par quatre jeunes architectes et designers libanais, il s’agit d’une plateforme de discussion pluridisciplinaire située à la frontière de l’architecture, du design, de l’aménagement urbain et des sciences humaines.
Un collectif pour une architecture éthique et durable
Créé par les architectes Shereen Doumar, Elias Tamer, Edouard Souhail et Lynn Chamoun, le collectif espère engager une conversation au sein de la société et avec les institutions pour sensibiliser sur l’importance de l’architecture et de l’organisation urbaine au Liban, et au Moyen-Orient. “ Nous nous sommes réunis en collectif car croyons que le rôle de l’architecte ne se limite pas au design de projets. Il est aussi un activiste qui peut influencer ce qui se passe au niveau des politiques urbaines sur le long terme.” explique Shereen Doumar, l’une des co-fondatrices.
Il entend ainsi repenser la production architecturale néo-libérale et instaurer un débat sur la nécessité de mettre en place des stratégies territoriales cohérentes, en construisant des ponts entre les professionnels du secteur, les autorités locales et le grand public. Un projet qui s’illustre pour la première fois au sein d’une exposition et d’une conférence qui se dérouleront à Beit Beirut à la fin du mois.
Une exposition pour imaginer un aménagement urbain plus inclusif
Cette exposition présente au grand public 31 projets académiques qui traitent de l’aménagement du territoire libanais ou du Moyen-Orient, dans une perspective sociale ou économique. Des projets documentés en photographies afin de permettre aux visiteurs de visualiser le processus urbain. “Tous ces projets ont été conçus au sein d’universités dans le cadre de projets de recherche, Ph.D. ou de Master. Certains d’eux ont déjà été réalisés, pour les autres nous essayons d’engager la municipalité de Beyrouth qui nous a d’ailleurs donné la possibilité d’organiser l’exposition afin de démarrer une conversation.”Un cycle de conférences sera également organisé durant deux jours, en marge de l’événement. Au menu, quatre conversations majeures: l’architecture locale par opposition à l’architecture globale “Nous avons voulu repenser la manière dont l’architecture internationale et locale peuvent travailler ensemble de manière plus subtile, et plus seulement appliquer partout des modèles occidentaux qui ne fonctionnent pas” ; les espaces publics “Les espaces publics sont vraiment affectés par le capitalisme aujourd’hui, et nous n’avons pas les ressources nécessaires pour les développer au Liban” ; la distribution des ressources et son impact sur le développement de l’économie et, enfin, le rôle de l’architecte à l’ère de la mondialisation : “Notre rôle est plus important que la simple propagation de changements urbains et sociaux. Nous devons réfléchir à la manière d’introduire des planifications urbaines plus inclusives et cohérentes. Penser en termes d’impact social plutôt que de jeu capitaliste.”
Créer des espaces publics et rendre le territoire à ses habitants
Car c’est bien la problématique majeure qui circule tout au long de cet événement : comment penser et recréer le territoire pour le rendre à ses habitants? Une nécessité que le collectif espère amener aux yeux des pouvoirs publics, et pouvoir influencer. Il prévoit d’ailleurs la mise en place de petites aires de jeux publiques dans différents quartiers de Beyrouth. Une manière pour les habitants de se réapproprier l’espace public. Un défi majeur dans une ville où les intérêts privés priment, sur celui de la population. En témoigne l’étude récente Beirut Zone 10 réalisée par la société civile Beirut Madinati et l’institut Issam Farès, qui souhaite s’appuyer sur des lois existantes de la constitution pour rendre le littoral à ses habitants, en empêchant la construction massive de projets hôteliers sur la côte et les exceptions juridiques accordées depuis les années 90. Comme c’est le cas avec la construction très controversée de l’Eden Bey sur la seule plage publique de Beyrouth, Ramleh al Bayda. “ L’état actuel n’a pas le contrôle sur son territoire et le planning urbain n’est pas à l’ordre de ses priorités. Il n’y a pas de ressources gouvernementales consacrées au logement par exemple. Le secteur privé bénéficie d’un total laisser-faire de la part de l’état qui permet à n’importe quel promoteur immoblier de construire sans vraiment répondre aux besoins des habitants, car nos politiciens sont impliqués individuellement avec leurs propres sociétés privées. Même s’il est inscrit dans la loi que 25% de l’espace doit être laissé aux habitants, rien n’est implémenté. Nous pensons que la première chose à faire est d’établir des infrastructures correctes car c’est la base d’une économie forte qui pourra prioriser le plan urbain et les logements.” estime t-elle.

L’hôtel Eden Bay, à Beyrouth
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