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2.24.2020
Manele Labidi, la réalisatrice qui psychanalyse la société tunisienne

Depuis le 12 février dernier, le premier long métrage de la réalisatrice franco-tunisienne Manele Labidi “un divan à Tunis” est disponible dans les salles obscures françaises. Une comédie méditerranéenne qui mélange psychanalyse freudienne et radiographie sociale de la Tunisie post-révolution.
On ne peut pas vraiment dire que Manele Labidi soit tombée dans la marmite du cinéma depuis l’enfance. Élevée par une famille d’ouvriers tunisiens installés en France, elle grandit dans un environnement traditionnel où elle passe plus de temps dans les bibliothèques municipales qu’à éplucher les films de la nouvelle vague. Après une carrière dans la finance, elle délaisse finalement le monde intraitable des salles de marché pour celui plus merveilleux de la fiction. Aujourd’hui, son premier long métrage est projeté en avant-première à l’UGC des Halles à Châtelet. Un rêve devenu réalité pour cette réalisatrice qui tente à l’écran d’exorciser l’inconscient Tunisien avec cette comédie déjantée.
Qu’est-ce qui vous a donné envie de troquer la finance pour la fiction?
J’ai intégré le milieu de la finance par opportunisme car il m’offrait aussi une sécurité que je n’avais pas eu par mon milieu d’origine, mais j’ai su dès le début que ce serait un passage. Après plusieurs années en Finance, j’avais envie de voir autre chose. J’ai réalisé que je ne voulais pas passer le reste de ma vie à lire l’actualité financière, alors j’ai pris un mois de vacances pendant lequel j’ai suivi une formation en écriture de scénario à l’école Louis Lumière. Après cette expérience, il m’était évident que ce serait très difficile de revenir en arrière.
Comment avez-vous réussi à vous faire une place dans un milieu aussi difficile que le cinéma?
Dans mon éducation et dans ma culture, le cinéma appartient à une certaine catégorie de personnes. Et avec le manque de représentations, j’ai grandi en me disant que ce n’était pas pour moi. Quand j’ai quitté la finance, tout le monde me prenait pour une folle. Je ne connaissais absolument personne dans le milieu. Alors je me suis mise au travail, j’ai passé beaucoup de temps à la bibliothèque et à la cinémathèque. Je notais tout ce qui me passait à l’esprit. Il y avait au fond de ma tête ce dossier spécial sur la Tunisie et la révolution venait de passer par là. Mais je ne savais pas encore par quel angle l’attaquer et je ne voulais pas faire le film typique qu’on attend de moi. Au final, France Culture cherchait des fictions sonores sur des milieux contemporains et c’est là que m’est venue l’idée d’écrire une fiction sur la vie en salle de marché. Le reste ne fut qu’une suite de belles rencontres.
Pourquoi avoir choisi d’installer votre histoire dans un cabinet de psychanalyse en Tunisie?
En fait la psychanalyse, c’est une discipline qui me fascine depuis toujours. J’ai moi-même suivi une analyse très jeune, non pas pour régler des névroses mais comme un moyen de mener l’enquête sur mon histoire familiale. Quand on grandit dans une famille assez traditionnelle, il y a beaucoup de non- dits. La psychanalyse m’a permis de découvrir beaucoup de choses sur moi et de lever la lumière sur les zones d’ombre de mes origines. Ce que j’aime aussi dans la figure du psychanalyste, c’est qu’il est neutre et ne porte pas de jugement. C’est ainsi que je voulais dépeindre la Tunisie.
Pourquoi avoir choisi Golshifteh Farahani, une actrice iranienne et non tunisienne pour le rôle de Selma?
Dès l’écriture du film, je voulais que tous les personnages soient tunisiens. C’était évident car je voulais donner au film cette patte tunisienne. En ce qui concerne le personnage de Selma, il est tellement hybride – pas vraiment Français, pas complètement Tunisien – qu’il n’était pas nécessaire d’avoir une comédienne arabe pour l’interpréter. Mais je savais exactement l’équilibre que je voulais avoir à la caméra avec le reste des personnages. Il me fallait une énergie qui viennent contrebalancer tous les forts tempéraments que j’avais. Golshifteh était parfaite pour cela.
D’ailleurs vous avez aussi fait des choix esthétiques qui cassent les codes du film oriental…
Pour moi, la musique est très importante car c’est le prolongement des intentions. Elle est un outil qui permet d’amener la mise en scène un peu plus loin. Lorsque je travaillais sur le film, j’écoutais Mina, une grande chanteuse italienne et pour moi c’était clair que ça allait être la musique du film car je voulais sortir des clichés orientalisant qui n’auraient rien apporté. Le point commun de la Tunisie et l’Italie, c’est la Méditerranée et ce film est méditerranéen avant tout. Tout comme je voulais jouer avec la question du voile dans le film, avec les masculinités et les féminités, la question de la musique participe aussi à ce même objectif qui est de changer les représentations.